La question du traitement des régionalismes dans l’apprentissage du français langue étrangère a surgi en regardant les photos de nos étudiants en séjour linguistique à Paris, en train de déguster de délicieuses viennoiseries françaises : des pains au chocolat. A moins que ce ne soit des chocolatines ?
On ne refera pas le débat. La bataille a eu un retentissement international ! Et l’on ne mettra personne d’accord au final.
Les Français perpétuent et défendent certains mots de vocabulaire propres à leur région d’origine, tout comme comme les Italiens ou les Espagnols par exemple. C’est un signe d’appartenance et une fierté d’affirmer son identité régionale par ce biais. Mais quel casse-tête pour les apprenants du FLE ! Ces variations linguistiques leur donnent du fil à retordre et demandent une certaine capacité d’adaptation… parfois source de situations comiques !
Alors, comment les apprenants et les professeurs gèrent-ils les régionalismes dans l’apprentissage du FLE ? Comment sont-ils pris en compte ? Sont-ils un frein à l’intégration ?
Définir les régionalismes de la langue française
Les régionalismes linguistiques constituent de véritables perturbateurs à l’apprentissage de la langue française. Comment les définir ? Il s’agit de variations de vocabulaire, d’expression, de syntaxe, de prononciation même, qui sont propres à une région française ou une communauté.
Il ne faut pas confondre avec les langues ou les dialectes régionaux tels que le breton, le basque, ou encore le créole. Ici nous parlons de particularismes de la langue nationale, qui la diversifient et l’enrichissent de tournures et de termes spécifiques.
En cours de FLE, les professeurs évoquent plus fréquemment les différences avec le français parlé au Québec ou au Luxembourg par exemple, et plus rarement des variations entre les régions françaises.
La typologie des régionalismes
Les régionalismes se perçoivent surtout à l’oral, dans le français parlé, et s’expriment beaucoup moins à l’écrit, avec l’usage d’un français plus soutenu et plus “conventionnel”. Ces variations peuvent être classées en 3 types :
1. Les variantes de vocabulaire
C’est l’expression la plus flagrante des régionalismes de la langue française. Il faut presque un petit dictionnaire à part entière pour les saisir !
“Peux-tu me passer le pichet s’il te plait” ?
- Ici on dit “carafe” – répondrait un toulousain.
- Ici on dit “brodo”, répondrait un francilien.
- Ici on dit “cruche”, répondrait un alsacien.
- Ici on dit “pot d’eau” répondrait un lyonnais.
Pas simple !
2. Les variantes de prononciation et de phonétique
Si l’on écrit “persil” ou “sourcil” : pas de doute, tous les Français écriront et comprendront la même chose. En revanche, la prononciation diffère. Dans le centre de la France, on ne prononce pas le L final !
Autre exemple : la phonétique autour de la lettre O est un critère discriminant en France… Prononcez les mots rose et jaune , et vous révélerez à vos interlocuteurs votre région d’origine à coup sûr ! Un son [o] vous rattache plutôt aux régions du nord, tandis qu’un son [ɔ] vous relie plutôt à la France méridionale. Voilà un petit jeu qui prête à sourire et suscite beaucoup de sympathie et de musicalité dans les dialogues !
3. Les variantes grammaticales
Plus complexes à aborder, les différences de syntaxe peuvent parfois choquer, et être assimilées à des fautes de grammaire proprement dites.
Prenons l’exemple frappant de l’emploi – dans certaines régions – du “y” dans de nombreuses tournures de phrases telles que “c’est-y pas sympa cette soirée ?”, ou encore “je vais y faire ” (traduction : je vais le faire, je vais m’en occuper). Cette tournure peut surprendre si vous sortez du grand Est français, car elle est fréquemment usitée autour de Lyon, de la Bourgogne, de la Savoie, du Dauphiné, etc. Voilà une tournure syntaxique à faire pâlir les ayatollahs de la grammaire française !
Cette complexité a fait l’objet de cartographies pour identifier les limites (approximatives) des régionalismes.
L’intérêt de connaître ‘le parler local’
Apprendre les nuances linguistiques régionales n’est pas primordial pour l’apprenant, mais c’est une plus-value ! Tout particulièrement lorsqu’il voyage, étudie ou travaille sur le territoire français : la connaissance du “langage local” peut faciliter son intégration, son immersion sociale et professionnelle. C’est un petit coup de pouce qui lui permettra d’attirer l’attention des natifs, agréablement surpris par sa maîtrise des subtilités régionales. Sans cette connaissance préalable, il faudra s’adapter et apprendre par l’expérience, sur le terrain, quitte à se faire corriger !
Comment les professeurs abordent-ils les régionalismes en classe de FLE ?
Tout dépend de la sensibilité des professeurs à cette problématique, du niveau et des objectifs des apprenants du FLE. Les professeurs peuvent se prêter au jeu et commencer par sensibiliser les élèves débutants aux variations phonétiques et de prononciation. Puis, ils traitent les variantes lexicales et grammaticales avec les apprenants plus avancés.
C’est une façon de mieux préparer les apprenants à un éventuel stage, emploi ou séjour linguistique dans une région française spécifique. Ces aspects linguistiques s’intègrent dans une approche culturelle de la langue française, comme on aborde les spécialités gastronomiques qui ont leur propre vocabulaire aussi.
La sensibilisation des régionalismes n’est pas une priorité dans l’enseignement FLE. Elle peut être abordée lorsque l’occasion se présente par exemple. Ce rôle revient au professeur mais aussi aux guides ou aux hôtes français qui reçoivent les apprenants. C’est ce que nous nous efforçons de faire au cours de nos séjours linguistiques, lorsque nous accueillons étudiants ou adultes dans différentes villes et régions de France. La “traduction des régionalismes” fait partie de l’intégration et de l’immersion linguistique de nos élèves voyageurs. Cet exercice révèle la différence entre ce que les manuels présentent et la réalité linguistique quotidienne !
Et pour les apprenants, comment gérer les particularismes linguistiques ?
Il faut commencer par tendre l’oreille et avoir une bonne écoute. La compréhension orale et l’entraînement sont indispensables pour saisir les nuances linguistiques et les interpréter correctement. Les radios locales, certains podcasts peuvent aider à mieux appréhender les accents et les lexiques régionaux.
En France, au contact des natifs, les apprenants peuvent se tourner vers leur guide ou leur professeur accompagnant pour lever le mystère sur certaines prononciations incongrues ou des mots de vocabulaire inconnus. En situation, il ne faut pas hésiter à interroger les locaux eux-mêmes, qui seront ravis d’expliciter les particularismes de leur langue et d’en évoquer l’histoire.
Les régionalismes sont plus qu’une curiosité : ils participent du patrimoine et de la richesse de la langue française. Plus présents à l’oral qu’à l’écrit, ils sont révélateurs du dynamisme et de la vitalité de cette langue. Ils montrent combien la langue française est variée et se distingue de celle présentée dans les manuels pédagogiques. Les régionalismes interpellent et perturbent les apprenants du FLE, notamment lorsqu’ils deviennent une barrière pour bien communiquer et interagir avec les natifs. Mais ils sont aussi sources de situations comiques, d’échanges et d’enrichissements culturels !